Il y a quelques jours la ministre de la
Santé Marisol Touraine présentait aux professionnels son projet de loi
de santé. Projet ambitieux dans le cadre de la stratégie nationale de
santé lancée il y a neuf mois. Nous n’en discuterons ici qu’un seul
point, celui de la généralisation du tiers payant, que nous jugeons
détestable à tous les points de vue, que ce soit pratiquement,
financièrement ou encore en tant que nouvelle marque électoraliste et
sans justification d’assistanat moralement condamnable.
D’une logique de solidarité à un droit universel inutile et dispendieuxLe tiers payant médical est une institution dont la logique repose sur la solidarité. C’est une facilité de trésorerie dispensée à ceux dont les facultés de paiement sont censées ne pas permettre de faire l’avance des frais. C’est pourquoi le tiers payant médical n’est ouvert, à l’heure actuelle et sauf cas particuliers (accidents du travail…), qu’aux bénéficiaires de la CMU, de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME.
Généraliser l’institution
pervertit cette logique en en faisant un droit universel de simple
confort, coûteux et inutile. Car qui peut sérieusement soutenir qu’en
dehors des bénéficiaires cités ci-dessus, les malades n’ont pas la
possibilité de faire l’avance de 23 euros…ou alors, s’ils estiment
nécessiter cette facilité de trésorerie, c’est qu’ils ont une notion de
leurs priorités de dépenses qu’il ne faut pas encourager. Nous
reviendrons sur cette question de responsabilité.
Quel sera le coût de cette nouvelle facilité ? Nous ne sommes
malheureusement pas en mesure de répondre, ce qui est déjà un problème
en soi : où sont les évaluations préalables de faisabilité et coût qui
devraient précéder l’adoption de toute nouvelle mesure ? Comment faire
notamment pour laisser l’euro réglementaire à la charge du malade ?
Un dernier point : le tiers payant pharmaceutique
n’est que partiel, et la tendance est au déremboursement de plus en
plus important de médicaments. Quelle est la logique qui voudrait que,
sortant de chez le médecin où il n’a rien à payer, le malade se rende
chez le pharmacien avec une ordonnance prescrivant des médicaments non
remboursés, et quelquefois fort chers ?
Une gestion difficile et chronophage pour les médecins
Le corps médical est très opposé à cette
généralisation. A juste titre. Il souligne que la mesure transformerait
la carte Vitale en carte bancaire, et que les médecins se trouveront
substitués aux caisses pour la gestion administrative du remboursement. Le
ministère de la Santé ne voit pas de problème et pense que les médecins
n’ont qu’à se débrouiller avec les dizaines de mutuelles de leurs
clients, en fait 400 mutuelles. « Impossible », disent les représentants
des médecins. L’un d’entre eux ajoute : « La limitation de l’accès aux
soins vient des files d’attente, pas des questions financières. Ce n’est
pas en rajoutant du travail administratif aux médecins que l’on va les
raccourcir ». Sans compter la gestion des défauts de paiement (cartes
fausses, périmées…), travail décuplé pour les secrétaires des médecins.
Sauf aussi que nombre de médecins n’ont pas de
secrétariat…particulièrement chez ceux qui pratiquent le tarif agréé de
23 euros. A l’heure actuelle, la gestion du paiement coûterait déjà 0,5
euro par consultation : combien avec la généralisation ?
Ce n’est pas au médecin libéral de
gérer la mesure en question. Leur travail est de soigner les malades,
pas de prendre en charge les conséquences voulues par le pouvoir d’une
politique de confort sans raison d’être autre qu’électorale, surtout
quand le tarif de leurs consultations est si bas. Et surtout quand les
Français se lamentent de voir la disparition les médecins généralistes
libéraux, particulièrement dans les campagnes : la mesure ne fera
qu’aggraver la situation. Pas de doute, le gouvernement et la ministre
de la Santé ne cherchent qu’à tuer la médecine libérale en France.
La pente dangereuse et déresponsabilisante du tout gratuit
Les médecins libéraux soulignent encore à
juste titre le caractère déresponsabilisant d’une mesure qui dévalorise
la consultation médicale, car tout ce qui est gratuit, ou apparaît
gratuit, perd sa valeur. Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce point
bien connu, sauf pour rappeler cette constatation faite par le corps
médical que les bénéficiaires de la CMU sont de façon générale les
patients les moins respectueux de leur médecin, annulant par exemple
très souvent leurs rendez-vous sans avoir la notion du dérangement
causé. La consultation devient assez inéluctablement une simple démarche
administrative gratuite, que l’on peut accomplir quand et comme l’on
veut aux heures ouvrables !
Cela a été très bien dit il y a plus d’un siècle et demi par
Frédéric Bastiat, dont on lira quelques morceaux choisis en encadré dont
on appréciera la modernité [1].
Extrait de Harmonies économiques, Des Salaires, Frédéric Bastiat, 1850.
Voici ce que l’auteur écrivait il y a 164 ans, en
discutant des sociétés de secours mutuel dont il faisait l’apologie
pour autant qu’on en préserve l’autonomie à l’égard de l’Etat : « Supposez
que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu’il
s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses
sous prétexte de les centraliser ; et, pour colorer cette entreprise, il
promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable
…
Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution
quand sa caisse sera alimentée par l’impôt ; quand nul, si ce n’est
quelque bureaucrate, n’aura intérêt à défendre le fonds commun ; quand
chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un
plaisir de les favoriser ; quand aura cessé toute surveillance mutuelle,
et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que jouer un bon tour
au gouvernement ? Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice,
est enclin à se défendre ; mais, ne pouvant plus compter sur l’action
privée, il faudra bien qu’il y substitue l’action officielle. Il nommera
des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des
formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. Bref,
une admirable institution sera, dès sa naissance, transformée en une
branche de police.
L’État n’apercevra d’abord que l’avantage d’augmenter la tourbe de
ses créatures, de multiplier le nombre des places à donner, d’étendre
son patronage et son influence électorale. Il ne remarquera pas qu’en
s’arrogeant une nouvelle attribution, il vient d’assumer sur lui une
responsabilité nouvelle, et, j’ose le dire, une responsabilité
effrayante. Car bientôt qu’arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus
dans la caisse commune une propriété qu’ils administrent, qu’ils
alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils
s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage,
non comme provenant d’un fonds limité préparé par leur propre
prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n’admettront pas
pour elle l’impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des
répartitions.
L'Etat se verra contraint de demander sans cesse des subventions au
budget. Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il se
trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront
toujours croissant, et on en reculera le redressement d’année en année,
comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais
alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui
ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un
préfet même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point
d’avoir perdu jusqu’à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté
et de la Justice…
Est-il donc si difficile de laisser les hommes essayer, tâtonner,
choisir, se tromper, se rectifier, apprendre, se concerter, gouverner
leurs propriétés et leurs intérêts, agir pour eux-mêmes, à leurs périls
et risques, sous leur propre responsabilité ; et ne voit-on pas que
c’est ce qui les fait hommes ? Partira-t-on toujours de cette fatale
hypothèse, que tous les gouvernants sont des tuteurs et tous les
gouvernés des pupilles ? ».
Concluons sur le contre-sens de la mesure.
Déclaration de Marisol Touraine lors de la présentation de la loi : « Je
refuse l’idée qu’il y ait des Français irresponsables, je ne crois pas
qu’il y ait de touristes de la santé, ni de malades imaginaires au 21e
siècle ». Vraiment ?
À l’heure où vient d’être mise en lumière
l’explosion du tourisme des bénéficiaires de l’AME et de son coût pour
l’État ? Sincérité ou mauvaise foi ? Et de toutes façons, il ne s’agit
pas d’ « irresponsabilité », un bien grand mot pour ne définir que la
perte de la valeur des choses et la tentation humaine de profiter le
plus possible et sans gêne de ce qui est apparemment – mais seulement
apparemment – gratuit.
On nous dit que la généralisation du tiers payant figure en bonne
place dans les « marques de gauche ». On croyait que la gauche, c’était
l’attention portée aux plus faibles. Ici, c’est l’inverse, la
généralisation à tous ceux qui n’en ont pas besoin d’une mesure de
solidarité envers les plus faibles. Quelle sera d’ailleurs la réaction
de ces derniers devant une telle banalisation de ce qui leur était à
juste titre réservé ? Marque de gauche, non, plutôt marque électorale
pour attirer les bisounours. Vraiment pas le moment, et vraiment
détestable à tous propos.
[1]
Si l’on veut bien faire abstraction du contexte de l’époque et
simplement remplacer la référence aux ouvriers par une autre référence à
la population en général.
8 commentaires:
Le tout gratuit de gauche,quelle générosité,mais pour cela les impôts pèsent de plus en plus sur les contribuables (tout au moins sur ceux qui ne peuvent pas s' expatrier)
Pourquoi tout serait gratuit ?
Accepteriez-vous de travailler de travailler sans salaire ?
C'est la seule maniére de sauver la sécu de la privatisation et donc d'une médecine à 2 voir 3 vitesses
https://www.youtube.com/watch?v=MxYQb-WmB3g
Avec une telle mesure on va droit à l'explosion des couts par manque de citoyenneté et de contrôles ! Le gouffre de la sécu va devenir un abîme !
Une seule question : Qui va payer ?
Le Parti socialiste annonce dans un communiqué, mardi 1er juillet, la mise sous tutelle de sa fédération dans le Gard. Une enquête préliminaire, confiée à la SRPJ de Montpellier, avait été ouverte le 4 juin sur la comptabilité de la fédération à la suite de deux plaintes, fin février et début avril.
Emeric Brehier, secrétaire national à la Formation militante et à la rénovation, a été mandaté pour conduire cette mise sous tutelle. Il "sera amené à travailler avec l’ensemble des responsables socialistes locaux" afin de préparer les états généraux de la fédération, précise le communiqué.
Des dépenses "particulièrement élevées"
En avril, la fédération du Gard s'était déjà dotée d'une direction collégiale après avoir constaté des dépenses effectuées par le premier secrétaire fédéral "particulièrement élevées" ainsi que le "non-respect récurent des statuts", indiquait alors un communiqué de la fédération.
et à l'UMP aussi il s' en passe de belles,c'est bien la peine de brocarder sans cesse le FN !
Merci pour votre article, en ce qui me concerne , je vois que le fait de généraliser le tiers payant est une facilité donnée aux personnes modestes et je trouve même si selon certains est une rupture du contrat conventionnel est une solution encourageant.
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